World Trade Center : timeless soundtrack of lost towers


publié le 18/09/2006 sur CyberArchi.com

"A l'occasion du 5ème anniversaire de la disparition des tours jumelles, l'architecte Christophe Hébert a trouvé sur Internet un projet original : le site sonicmemorial.org collecte et diffuse la mémoire sonore du World Trade Center. Le 11 septembre n'a pas totalement détruit ces tours : la preuve, on les entend encore. publié le 18/09/2006 Tout musicien saura expliquer que chaque bâtiment, chaque pièce d'un bâtiment possède sa propre et unique sonorité. En ce sens, Sonicmemorial est une mine inattendue. On y trouve des interviews des résidents, des constructeurs, de l'universitaire Angus Gillepsie qui s'est intéressé à l'histoire du projet, ou le funambule français Philippe Petit qui raconte son moment d'éternité lorsqu'il a réalisé l'exploit de franchir le vide qui séparait les tours, en équilibre sur un câble d'acier.Mais, le plus surprenant, est d'y trouver une grande collection de prises de son sur le site même du World Trade Center. Cinq années après leur disparition, on peut écouter un enregistrement du craquement de la structure des tours jumelles sous la force exercée par le vent. On peux entendre l'ambiance dans chacun des immenses halls (près de 5.000 m²) aux heures de sortie des bureaux et le va-et-vient des skylobby express elevators, l'arrivée du métro dans la station du WTC, le message audio-guide à l'attention des 55 touristes diffusé dans l'ascenseur, pendant les 58 secondes de la montée vers le sommet. Toujours plus étonnant, il y a les enregistrements réalisés par des artistes résidents, dans les gaines d'ascenseur, dans les étages des machineries... Des artistes ont en effet résidé au World Trade Center grâce à une initiative originale de mécénat. A partir des années 80, les tours ont rencontré un grand succès. Peu d'espaces restaient à louer, toutefois, il y avait nécessairement une vacance provisoire d'environ 5%, notamment pour réaménager le second-oeuvre. On a alors eu l'idée de proposer ces espaces à des artistes pour former des sortes de studios éphémères. Il en résulte une production non négligeable d'oeuvres en relation avec ce lieu, des sculptures, des peintures, et notamment des installations sonores. Certaines oeuvres paraissent même prémonitoires, lorsqu'on évoque le nom de Michael Richards, artiste New-Yorkais en résidence au WTC en septembre 2001. Il fut tué sur le coup, dans son atelier du 92° étage, après avoir travaillé toute une nuit sur une sculpture appartenant à une série d'auto-portraits inspirée de St Sébastien, non pas transpercé par des flèches, mais par des avions.

Ces sons du quotidien collectés prennent une dimension particulière depuis le 11 septembre 2001. Le lieu n'existe plus, mais on peux encore entendre l'écho de pas sur le marbre blanc du hall de la tour Sud.Il y a toutefois quelque-chose d'essentiel à analyser et comprendre derrière ce projet, c'est la nature même de l'architecture des tours du World Trade Center : souvent méprisés par "les plus intellectuels" de la profession, elles étaient à l'évidence une expression architecturale majeure.Selon le rapport plus ou moins superficiel que l'on a avec l'architecture, on s'arrêtera à une appréciation dogmatique de leur style, ou bien on se passionnera pour leur relation si particulière avec le paysage, et l'histoire de New-York. Vous allez comprendre où je veux en venir à travers ces deux citations.A l'époque de l'achèvement du projet, à une période où émergeait le style post-moderne, la critique d'architecture Ada-Louise Huxtable écrivait dans le New-York Times à propos des tours Jumelles : "Elles sont peut-être grandes, mais ce n'est pas de la grande architecture". L'universitaire américain Angus Gillepsie écrivait au contraire que l'on pouvait facilement sous-estimer la qualité de leur architecture.Lorsqu'un projet architectural "fonctionne", en principe, c'est parce que l'architecte a créé les bonnes conditions d'usage, d'ambiance, de mise en situation... Dans un second temps, les usagers, les habitants s'approprient le projet et créent le lieu, le définissent par la façon dont ils l'habitent, et écrivent une histoire, éventuellement une histoire légendaire...Les tours jumelles étaient-elles un lieu aussi ordinaire que le pensait Ada-Louise Huxtable lorsqu'on découvre qu'elles ont attiré comme un aimant des gens ou des évènements peu ordinaires : Frank Sinatra a chanté dans le restaurant, Jacky Onassis a participé à des dîners de charité, chaque année, chaque président assistait à la fête de l'indépendance depuis le restaurant, et si l'artiste Miro a appris la tapisserie, c'est à la suite d'une commande originale pour le Hall Sud. Philippe Petit y a organisé une performance de funambule, en toute illégalité et au péril de sa vie, Camilo José Vergara les a photographiées pendant trente ans... et à deux reprises des terroristes ont essayé de façon obsessionnelle de détruire le complexe. Et je ne parle pas du nombre de fois où les tours sont présentes au cinéma, dans la publicité, etc. Impossible de nier leur importance dans la mémoire collective, dans la culture. Depuis le 11 septembre, en fouillant dans tout ce qui se publie, on découvre des histoires pour le moins étonnantes.

La dimension symbolique du projet résulte d'une conception plus subtile qu'il n'y paraît et d'une suite ininterrompue de paradoxes, d'une ambivalence entre ce qui peut sembler ordinaire et des moments inoubliables où le dessein extra-ordinaire du projet se révèle.Quelques éléments clefs pour comprendre :Les tours jumelles font référence au courant artistique Land Art, l'aluminium qui les recouvraient changeaient de couleur avec la course du soleil et s'irisaient au soleil couchant. Il m'est arrivé à proximité de Battery Park de ne pas reconnaître tout de suite cette masse devenue pure lumière couleur or. C'était les seules constructions à Manhattan qui se transformaient d'une façon si singulière avec le temps.La forme carrée de chaque tour renvoi à une figure géométrique inventée par l'homme, qui en affirme la présence. Construire des tours aussi hautes, sans gradation pyramidale est techniquement difficile (encore aujourd'hui), du fait des réactions au vents. Construites par le Port Authority, notamment responsable de la construction d'ouvrages d'art et d'aéroports, les tours jumelles étaient le manifeste d'une vison optimiste et de progrès, d'une aventure humaine exaltante.Un paradoxe de taille. Le complexe présentait la plus forte densité "d'habitants" au kilomètre carré, pourtant la grande échelle du projet, sa dimension humaine était parfaitement maîtrisée par un architecte d'origine japonaise... dont il était de notoriété publique qu'il était sujet au vertige et très impliqué dans la recherche de solutions architecturales de grande valeur d'usage.Comment ne pas être pris d'émotion, lorsque l'on percevait à travers les baies de la largeur d'une épaule, pour se sentir en sécurité, la révélation de la topographie de Manhattan, la ville d'un côté et les deux fleuves qui semblent se rejoindre à l'horizon, l'immensité de la mer de l'autre, à la frontière du nouveau monde.Un dernier paradoxe : le 11 septembre a fait un nombre important de victimes. C'est l'attentat terroriste le plus grave, pourtant il y a près de 90% de survivants. Et certains sont partagés entre le traumatisme et l'envie de retrouver ce lieu.Ce serait trop long de développer plus loin..."

Christophe Hébert, auteur de
'Quatre ans après le 11 septembre, les causes de l'effondrement'

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